Exposition « 10s of 1000s »

Leurs effets personnels
L’exposition présentait des objets appartenant à des personnes disparues qui sont aujourd’hui le seul souvenir que leurs familles ont d’elles. Cliquez sur les objets pour lire les récits et écouter les témoignages audio des proches.
CASQUETTE

Bassel Khartabil Safadi était un militant palestino-syrien qui défendait la liberté d’expression et les droits humains. Arrêté par le régime syrien le 15 mars 2012, il a été victime d’une disparition forcée le 3 octobre 2015 et d’une exécution extrajudiciaire la même année. Ses proches ont annoncé sa mort le 1er août 2017, après avoir été informés du fait qu’il avait été tué en 2015 à la suite d’un « procès » et d’une « peine de mort » prononcée par le tribunal militaire opérationnel d’Al Qaboun, à Damas, dans le cadre d’une procédure secrète.  Bassel Khartabil Safadi restera dans nos mémoires comme un exemple de courage, lui qui a pacifiquement combattu pour la liberté jusqu’à la fin. 

 

Il a laissé une casquette.
 

LUNETTES

Abdullah al-Khalil est un avocat spécialisé dans la défense des droits humains ; il était à la tête du conseil local du gouvernorat de Raqqa. Il a été arrêté par les forces gouvernementales à cinq reprises depuis 2011 en raison de son travail de défense des prisonniers politiques et de promotion des droits humains. Le 18 mai 2013, il a été enlevé par des hommes armés non identifiés alors qu’il sortait de son bureau, à Raqqa, dans le nord-est du pays. Le 14 novembre 2013, sa maison a été saisie par des membres du groupe État islamique (EI), qui ont accroché leur insigne sur la façade. On ignore tout du sort de cet homme et de l’endroit où il se trouve.

Abdullah a laissé ses lunettes.

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La séquence sonore est une interview enregistrée de l’épouse d’Abdullah.

CHAPELET

Mohammed Issam Zaghloul est un avocat et défenseur des droits humains du quartier d’Al Midan, à Damas. Il a été arrêté une première fois le 23 août 2011 après avoir mené une manifestation pacifique au barreau de Damas pour exiger la libération de tous les prisonniers détenus arbitrairement en Syrie. Pour être libéré, il a dû signer un engagement à ne plus jamais participer à une manifestation ni « monter la population contre le gouvernement ». Le 10 octobre 2012, il a été enlevé par un groupe d’hommes ayant, semble-t-il, des liens avec le gouvernement alors qu’il rentrait de son travail en voiture, sur la voie rapide de Mezzé, à Damas. Après son enlèvement, il a pu contacter sa femme, Maiss, pour l’informer de ce qui lui était arrivé. Quand sa famille a refusé de payer la rançon demandée, il a été transféré dans un centre du Service de renseignement de l'armée de l’air à Damas. Sa présence là-bas a été confirmée par plusieurs détenus qui avaient été libérés. Depuis, sa famille a mené des recherches officielles et non officielles pour tenter de découvrir où il se trouvait, mais aucune n’a abouti.

Mohammed a laissé un chapelet.

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La séquence sonore est une interview de l’épouse de Mohammed lue par un narrateur.

ÉCHARPE

Yusef Eido  est un travailleur humanitaire de 25 ans qui vivait dans le quartier d’Al Khalidiya, à Alep. Lors de son arrestation, il travaillait avec une organisation humanitaire locale à la coordination de la livraison de colis alimentaires aux habitants de son quartier. Un mois avant son arrestation, il avait été blessé à l’œil par un tireur isolé sur le marché local et on lui avait dit qu’il lui faudrait se rendre en Allemagne pour se faire opérer. Le 26 décembre 2012, il s’est présenté au bureau des autorités locales pour demander un visa et il n’est jamais revenu.

Yusef a laissé une écharpe.

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La séquence sonore est une interview du frère de Yusef, Saeed Eido, lue par un narrateur.

PORTE-MONNAIE

Abd al-Aziz al-Khayyir est chef du service Affaires étrangères de l’Organe national de coordination pour le changement démocratique (NCB). Il a été emprisonné entre 1992 et 2005 pour ses activités pacifiques en sa qualité de membre du Parti d’action communiste et considéré comme un prisonnier d’opinion par Amnesty International. Le 20 septembre 2012, il a été arrêté à un poste de contrôle par des membres du Service de renseignement de l’armée de l’air, alors qu’il venait de rentrer à Damas après un séjour en Chine pour le compte du NCB. De sources non officielles, il a été emmené dans un centre géré par le Service de renseignement de l’armée de l’air dans le quartier de Mezzé, à Damas, puis transféré dans un lieu inconnu en février 2013. Les autorités syriennes nient l’avoir arrêté et placé en détention, et la SANA, l’agence de presse nationale, a annoncé qu’il avait été enlevé par des membres d’un « groupe terroriste ». Plusieurs autres membres du NCB sont eux aussi toujours en détention ou font l’objet d’une disparition forcée.

Abd al Aziz a laissé son porte-monnaie.

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La séquence sonore est une interview enregistrée de son épouse Fadwa Mahmoud, une éminente militante, ancienne détenue et membre fondatrice de Familles pour la liberté. Le fils de Fadwa, Maher Tahan, a été arrêté et victime d’une disparition forcée en même temps qu’Abd al Aziz al Khayyir, le 20 septembre 2012.

POÈMES
L’exposition presentait quatre installations autour de textes ecrits par des poetes syriens qui ont ete detenus. vous pouvez lire ou ecouter les poemes en cliquant sur le titre de chacun.
UNE NOUVELLE SÉANCE DE TORTURE
Lu Par
AREF HAMZA

Bien que je n’aie plus mal
Je ressens encore la douleur
Par exemple
Dans ma main
Qui poursuit sa douleur seule
Comme si l’un d’eux
Coupait l’électricité entre moi et mes membres
Comme si
Il m’avait emprisonné hors d’eux
Et il prétend oublier
Qu’il l’a prise à l’intérieur de moi
Ou l’emmène loin
Pour que vous ne voyiez pas
Pourquoi j’ai mal, dans son seul intérêt à lui
/
Je ne me transforme pas en pierre
Cela fait 20 ans que je suis ici
Ma main ne se transforme pas en pierre
Ni mes yeux, ni mon âme
Malgré la tempête de ciment
Et l’absence de compassion
/
Personne ne me bordait en prison
Le soir,
Maman,
Que Dieu
Que le souffle de Dieu
Qui, tel une gazelle perdue,
Est traîné par terre, tous les soirs
Par 60 chasseurs à la peau mate
Jusqu’à ma cellule
Pour qu’ils puissent manger
Un repas de privation
/
Ils m’ont ouvert les paupières avec des pinces et des couteaux
Ils tirent les couvertures de leur stupeur avec de l’eau froide
D’un seau
De cuivre
Mes yeux qui ne voient plus
Qu’en
Noir et blanc
Comme un œil primitif
Comme un œil fermé
Sauf que ça ne me dérangeait pas
C’était la raison de l’obscurcissement de ma vue
Mais ça allait
Pour les autres parties
Et ce qu’il restait
De l’autre vie
Et ce qu’il restait
Était comme une personne
Dont le cœur avait durci face à la mer
Pour être certain
Des cris des noyés
Mais
En réalité
C’était suffisant
Et en fin de compte
Pour que nous puissions tapoter,
Mon œil et moi,
Les épaules de certains d’entre nous
/
J’ai mal à cette main innocente
Alors qu’elle pourri
S’en échappe une odeur de soufre
Elle se délite
Comme le flot d’une rivière
Étranglé
Par des corps
Accablé
Par des pierres
D’espoir
/
J’ai mal à cette main innocente
Je ne peux pas repousser la douleur
J’ai mal
Mais elle ne comprend pas
le sens du mot douleur
Comme un enfant
Effrayé
Qu’on relâche
Dans la nuit
Seul
Dans les bois
/
Des vers tombent sur le sol
De petits vers rapides
Des plaies
Larges
Et lentes
J’ai mal à la main
Elle n’arrive pas à soulever ces vers sur le sol
Et les ramène
À leur cœur
Qui bat
Entre
Le doigt
Et
Le pouce
/
Je ne vois pas sa douleur
Dans ce lieu haï qui est le mien
Je ne la connais pas
Mais je ressens une grande douleur
Comme si l’un d’eux
Jouait un dernier film
Pour ma main qui est partie
Elle peut apprendre seule
/
J’ai mal
Parce que ma main
A grossi
Comme ça
Rapidement
/
Et donc je vis ici
J’ai peur de mourir
Et que ma main continue
De souffrir le martyr
De se déliter
Autour de moi

MÊME SI L’ON ME DONNAIT UNE LAME DE RASOIR
Lu Par
AREF HAMZA

Fermement serrés, emprisonnés avec moi depuis des années
Emprisonnés
Dans cette terre
Depuis des millions d’années
Du choc accablant
Du regard virulent, singulier, inquiet
Des restes de vie écorchés
Je forme
Ces
Mots
/
Je l’ai savouré moi-même
Du bout des doigts et des ongles souillés de passion,
Avec mes peurs,
Personne
Jamais
Ne m’a parlé
Du goût des besoins désespérés
/
Fils de cuivre
Mon sang
Est devenu
Par leurs portions généreuses de décharges électriques
Mais malgré cela
Je te vois
Ici
/
Tu ne sais pas que je me souviens de toi maintenant
Alors que
Par ces mots
Je te retourne
Dans ton lit
/
Je ne me suiciderais jamais
Même si l’on me donnait une lame de rasoir
Je vais m’arracher la pupille
Pour récupérer ce que j’ai vu
Je vais arracher mon cœur frêle
Pour apercevoir un frêle espoir
Je vais prendre du sang
De ce cadavre
Pour griffonner
/
Et malgré ma vue bloquée par eux avec des cailloux
Et des malédictions
Et les murs cimentés d’urine
Et de sang
Et de fantômes
Et de fragments d’os
Malgré tout cela
Je te vois toujours d’ici
Je voyais même
Que c’était toi
Dont ils parlaient
Comme cela arrivait il y a des années
Quand tout était
Amer
/
Je forme ces mots
Je les transmets
Comme un morceau de vie, sale
Entre les orteils et les seins
Je les mets sur ma tête
Qui est sur la terre
Et entre les cauchemars
Pas dans ma bouche
Mais avec tous mes membres
Ces mots
Sont
Dits

À L’ISOLEMENT
Lu Par
KIFAH ALI DEEB

Après trois jours à l’isolement, le sens inné qu’est la notion du temps ne peut plus exister. Le sol ne faisant pas plus de quatre mètres carrés et étant entouré de murs tachés de sang, il n’y avait pas grand-chose à faire, à part attendre pendant qui sait combien de temps ou observer mes voisins/compagnons qui vivaient avec moi.

Les rats ont été les premiers camarades à m’accueillir : un nouveau pensionnaire dans l’espace qu’ils semblaient avoir préparé pour leur future famille. Avec le temps, leur présence est devenue réconfortante, à tel point qu’ils me manquaient lorsqu’ils rendaient visite à leurs proches dans les cellules voisines.

Parfois, je m’accroupissais dans un coin de notre maison commune – « notre cellule » – alors qu’ils languissaient sur les tuyaux rouillés qui sortaient partout du plafond. Nous passions des heures à tenir le coup. Parfois, ils semblaient embêtés par quelque chose et ils me faussaient compagnie pour aller se cacher derrière les tuyaux ; je me mettais à suivre le son de leurs pas sur le toit. Ensuite ils quittaient la cellule par le trou situé en haut et revenaient peu après avec leur butin. Leur nourriture était apparemment abondante la plupart du temps car ils prenaient la plus grosse partie des aliments destinés aux prisonniers.

La salle de torture n’était ni plus ni moins derrière la porte de ma cellule. L’odeur du sang me parvenait constamment. Pendant les séances de torture, qui avaient lieu trois fois par jour, je comptais depuis ma cellule les coups de fouet qui s’abattaient sur le corps des personnes qui hurlaient de douleur de l’autre côté. À un certain stade de torture, pour ne pas me mettre à crier comme eux, je fermais les yeux, je me bouchais les oreilles avec mes mains et je chantais d’une voix tremblante.

En général, pendant les séances de torture, les rats se cachaient. En chantant, une idée m’est venue ; j’ouvrais un œil pour les chercher au-dessus des tuyaux mais ils n’étaient jamais là. Je me disais qu’ils étaient probablement en train d’attendre quelque part en chantant, les yeux fermés et les oreilles bouchées. C’est plus charitable que d’assister à la mort d’une ou plusieurs personnes sous la torture.

Une fois, au réveil, j’ai senti quelque chose d’étrange dans ma main. Quand j’ai ouvert les yeux, l’un des rats se tenait juste devant mon visage et un autre était sur ma main et la léchait.

J’ai fait tomber le rat de ma main et j’ai bondi en criant. Les rats ont fui et sont montés sur leur trône, au-dessus de la porte que le garde a ouverte en me hurlant : « Qu’est-ce qui se passe ici ? Je ne t’ai pas dit que je ne voulais pas t’entendre ? »

J’ai montré le haut de la porte. Lorsqu’il a vu les rats, il m’a regardé d’un air dégoûté et a marmonné : « Tu as peur des rats ! » Je n’ai rien dit, et puis il a ajouté : « Les gens qui ont peur des rats ne méritent pas de demander la liberté ! » Il a tourné les talons et a claqué la porte derrière lui.

Sa dernière phrase était vraiment drôle. J’ai regardé les rats, qui me regardaient aussi, en demandant : « Qu’est-ce que les rats ont à voir avec la liberté ? »

Les membres de cette famille de rats ont été mes amis durant mon incarcération, puis j’ai été libéré. Je savais que les rats étaient la raison de ma libération car ils m’avaient donné la grippe et j’étais proche de la mort. Alors l’agent responsable a décidé de me relâcher pour que je ne meure pas entre leurs mains.

LE RÊVE
Lu Par
WAEL SAEDDINE

J’ai rêvé avec mes yeux dans la chambre de la mort

Ils étaient comme deux perles

Illuminant l’obscurité du temps

En proie à une hallucination

Une partie de la vérité est que je les ai vus briller

Et l’autre… j’ai pleuré

Dès qu’une chanson résonnait en moi

Même si tout voyageur est accablé de chansons

Je les chassais comme deux mouettes

Qui volaient entre les étoiles sur un rivage vert

La vague roule vers elles derrière mon cœur

Et se retire dans une écume douce

Je bafouille un peu

Je les appelle

Elles me regardent

Je sais que j’ai beaucoup commencé

Que je suis comme j’ai l’habitude d’être

Que si je n’avais pas commencé

J’aurais terminé

(2)

J’ai appris à haïr la mort dans la chambre de la mort

Jusqu’à ce que j’ose lui jeter un regard noir

Ce salaud avait de la force

S’en donnant à cœur joie, sur moi et sous moi

Piétinant dans tous les sens

Et tournant autour de moi

Je réfléchissais aux raisons de ma faiblesse

Et tes yeux ont fait ce que les anges ont fait

Pour me réconforter

Veiller sur moi comme une mère veille sur ses enfants

Et inquiets de l’absence de conscience

Et des rêves flous

Ne distinguant pas les sacrifices des formes humaines

Je tombe… je tombe dans une langue compliquée

Lorsque mon âme touche la mort, mon âme…

Difficile à comprendre, la place a été prise

Alors la chambre de la mort n’est plus suprême

Pas plus que mon corps dans un rêve endormi

Et si vous percevez l’espace d’un instant mon déchaînement

J’en suis ravi

(3)

J’ai rêvé avec mes yeux dans la chambre de la mort

Une violente tempête me déracine

Une personne avec de beaux souvenirs

Je porte mes yeux au dos

Je les construis image par image

Comme un vers m’a bouleversé dans le détail

Et j’ai créé mes rêves

J’ai dit à toute passion

Ô passion

J’ai conquis la mort dans la chambre de la mort

Lorsque je rêvais avec tes deux yeux

Puis je les ai écrits

Et j’ai plongé dedans !

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